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Rencontrer la chaleur du paysage

( 7 octobre 2008)

Percevoir et penser en hyperpaysage, c’est avoir le réflexe de se demander qui sont les personnes concernées par une problématique donnée.

Lorsqu’on commence une investigation à propos d’un paysage donné, la collecte d’information débute souvent par une recherche classique en bibliothèque.

C’est une voie possible, mais les rencontres avec des acteurs du paysage se sont avérées être sources d’intérêt et de motivation plus fertiles. En effet, si les textes scientifiques présentent en général les choses de manière relativement aseptisée, l’on découvre autrement, par l’intermédiaire des personnes rencontrées, toute la complexité d’une problématique paysagère.

P. Claval (1995) préconise en tant que telle la porte d’entrée des acteurs comme un des axes de lecture culturelle du paysage : la lecture de l’enchevêtrement des regards, des revendications et des droits qui font du paysage une construction sociale. Conflits, rapports de force, préférences, projets des "princes" ou projets anonymes, idéologies sous-jacentes : l’axe des acteurs est éminemment politique.

C’est une perspective récente. La prise en compte de l’expérience de chacun et de la diversité des expériences individuelles était absente de l’approche systémique (Claval, 1978). En outre, n’étaient considérés autrefois comme êtres dignes d’intérêt que les acteurs qui modèlent effectivement les paysages par leur action (Claval, 2001). À présent, toutes les expériences que les gens ont de l’espace peuvent stimuler la curiosité des géographes, qui s’interrogent dès lors sur les multiples facteurs (âge, sexe, culture) susceptibles d’influencer leurs perceptions et leurs jugements, de découvrir et comprendre les problèmes qui leur tiennent à cœur, ...

Les praticiens ont alors reconnu l’importance de tenir compte, dans les projets d’aménagement du territoire, de l’affectivité dont sont chargés les lieux. Non seulement c’est l’approche sensorielle qui refait surface, dans toutes ses dimensions, mais c’est plus largement l’approche sensible (une géographie des émotions), qui appelle les géographes à retisser les liens rompus avec les artistes afin de trouver les moyens d’exprimer ce que les mots ont du mal à communiquer.

Ainsi, l’importance des souvenirs est mise en évidence, ainsi que la prise de conscience de l’imprinting culturel engendré par des lieux « phares » où des racines ont pu se développer, où une identité s’est constituée, a été malmenée, ou enrichie et recomposée ; l’importance des lieux perdus aussi, de ceux dont il a fallu faire le deuil, soit en raison de notre éloignement, soit du fait de leur transformation parfois radicale.

Il devient beaucoup plus difficile alors de se faire une opinion tranchée, tant la chaleur des contacts peut nous rendre sensibles au point de vue des uns et des autres. Les théories, les événements, l’histoire du lieu sont revisités par le petit bout de la lorgnette, et l’on découvre par le bouche-à-oreille ce que personne n’oserait écrire, la face cachée des conflits, les rumeurs et les sous-entendus. Des arguments contradictoires nous sont présentés. Nous ne savons plus trop ni qui croire, ni quoi penser.

Nous nous trouvons alors dans une situation pédagogiquement très porteuse : ces moments de rencontre peuvent devenir extrêmement vivifiants pour les élèves, pour les amener à reconsidérer des préjugés ou des idées toutes faites, pour enrichir leurs représentations, mais aussi pour exercer leur esprit critique sans se laisser aveugler par un discours séduisant.

Réaliser un hyperpaysage, c’est aussi se demander quel genre de visite virtuelle on va proposer : celle du discours froid "politiquement correct" ou celle de la saga chaude des hommes au coeur du paysage ?

En matière d’aménagement du territoire, comme en témoigne la Convention européenne du paysage, l’accent est mis aujourd’hui sur l’importance de développer une culture de la concertation voire de la négociation entre acteurs et d’intégrer la participation des citoyens dans la mise en œuvre des politiques paysagères : enquêtes publiques, PPCN,... L’école peut jouer un rôle pour préparer les jeunes à devenir ces acteurs impliqués de demain.

Références

Claval P., 1995. L’analyse des paysages, Géographie et Cultures - Spécial Paysages, Paris, L’Harmattan, vol. 13, pp. 55-75.

Claval P., 2001. Épistémologie de la géographie, Paris, Nathan Université, 266 p.