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Rapports de force

( 24 février 2009)

Percevoir et penser en hyperpaysage, c’est interpréter toute situation dans sa dimension politique.

Expression du projet de certains individus ou groupes sociaux

Le paysage est politique par essence, en tant que révélateur des relations de pouvoir des différents acteurs sur le territoire.

Les paysages sont donc vus ici comme formes d’expression des projets individuels et des projets de la société. Leur interprétation tente de retrouver les préoccupations qui les ont motivés et les aspirations auxquels ils répondaient, mais aussi les rapports de force qu’ils reflètent, les vues de certains représentants de la société :

"En appliquant les règles de la perspective qui viennent d’être découvertes, les peintres de la Renaissance font naître, sur leurs tableaux, des places régulières et des avenues qui fuient jusqu’à la ligne d’horizon. Une génération ou deux plus tard, les princes se mettent à construire des quartiers neufs ou à créer des villes conformes à ces rêves déjà matérialisés sur la toile" (Claval, 2000).

L’approche culturelle du paysage "réel" comporte donc une démarche pour tenter de retrouver ce paysage "virtuel".

Instrument de normalisation de la société

Certains géographes anglosaxons vont même plus loin, affirmant que le paysage est en quelque sorte un instrument de normalisation de la société :

"Il est probable qu’ils (les paysages) inculquent à leurs lecteurs un ensemble de notions sur la façon dont la société est organisée, sans que ceux-ci en aient vraiment conscience. Si, en étant à ce point tangible, naturel et familier, le paysage n’est pas remis en question, alors l’image concrète que l’on a de l’organisation sociale peut être considérée comme le modèle de ce qu’elle doit ou devrait être"(Duncan & Duncan, 2001).

Dans cette perspective, l’observation du paysage ouvre le questionnement, mais la recherche ultérieure pour tenter une interprétation se situe plutôt au niveau de l’espace.

Le paysage peut aussi être vu en tant qu’objet auquel s’applique une politique et donc des normes, pour garantir sa conservation ou orienter son devenir. Ici, l’on reste centré sur le paysage-image pour déployer le débat philosophique autour de l’esthétique, examiner les doctrines et les modèles idéologiques véhiculés au cours de l’histoire et actuellement, engendrer une analyse critique des politiques des pouvoirs publics en matière d’aménagement du territoire, développer une prise de conscience de la responsabilité de chacun dans le marquage du paysage et préparer à la participation de chacun dans les processus de décision concernant ce bien public. De nombreuses publications font état des débats passés ou en cours. La vague paysagère qui traverse aujourd’hui le monde occidental, via des institutions supranationales comme l’UNESCO (Comité du patrimoine mondial) ou la Communauté européenne (Convention européenne du paysage), débouche sur des législations nationales qui tentent de réguler le libéralisme ambiant.

Des voix s’élèvent en même temps pour dénoncer un risque de normalisation outrancière, revendiquant le maintien des lieux tels quels, à l’instar de nombreux programmes d’éducation à l’environnement conservationnistes, préférant offrir aux "touristes" une lecture scientifique et anthropologique des paysages (Tremblay, 2002).

En Région wallonne, le SDER (schéma de développement de l’environnement régional) propose que l’intérêt pour les paysages oriente les actes d’urbanisme. Selon l’association Inter-Environnement Wallonie, la protection des paysages doit d’abord viser la préservation des vues exceptionnelles et prévenir le mitage et la fermeture des paysages le long des axes de circulation. Pour cela, l’urbanisation linéaire doit être enrayée (Snoy, 1999).

Bien économique

Aujourd’hui, en tant que tel, le paysage acquiert une valeur marchande, est utilisé comme argument de vente, devient source d’emplois. En accédant au statut d’objet patrimonial, il est devenu un "bien économique", à protéger juridiquement.

Contestation de l’ordre établi

Le paysage nous donne aussi à voir des signes de contestation de l’ordre établi, au travers de ruptures par les formes ou par le sens : le paysage est profané. Mais "les seuils de tolérance au changement varient en fonction des paysages et des sociétés qui les habitent ou s’en réclament" (Lazarotti, 2002, p. 311). Dès lors, une nouvelle question se pose : "A qui appartient l’image des paysages ?" (ibidem, p. 306).

Vers une politique d’intégration multiculturelle ?

L’émergence de politiques paysagères concertées avec tous les acteurs concernés serait-elle le signe d’une société qui rompt avec une idéologie libérale sous couvert de tolérance, où la loi des plus forts prime, pour s’engager dans la voie de l’intégration interculturelle ?

Références

Duncan J. S., Duncan N. G., 2001. (Re)lire le paysage, in Géographies anglo-saxones, tendances contemporaines, Belin, coll. Mappemonde, pp. 212-225 - traduction de l’article original (Re)reading the Landscape, Society and space, 6, pp. 117-126.

Lazzarotti O., 2002. Le paysage, une fixation ?, Cahiers de géographie du Québec, vol. 46, n° 129, Université de Laval, pp. 299-322.

Partoune C., 2004. Un modèle pédagogique global pour une approche du paysage fondée sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, thèse de doctorat, Université de Liège.

Snoy T., 1999. Pourquoi se soucier de votre paysage ?, Environnement, n° 50, pp. 6-7.

Tremblay F., 2002. Contre le tout paysage : des émergences et... des oublis, in Le paysage par-delà la norme, Université Laval, Cahiers de géographie du Québec, vol. 46, N° 129, pp. 345-355.