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Approche multiculturelle et interculturelle

( 24 février 2009)

Percevoir et penser en hyperpaysage, c’est se demander quels sont les modèles qui président à la construction du paysage en tant que produit social.

La construction culturelle du paysage s’appuie sur celle de la nature

Ne sommes-nous pas dupes de nos émotions en présence d’un paysage que nous estimons "beau" ou "laid" ? Sommes-nous conscients de l’enracinement culturel profond de nos préférences esthétiques ? Du véritable "travail éducatif" de notre regard et de notre sensibilité à l’égard des paysages, réalisé à travers les siècles via tableaux et descriptions littéraires ?

Visiter les histoires du paysage dans différentes cultures nous force à relativiser et à sortir du leurre, à ne plus prendre le "beau" pour le "vrai" (héritage rousseauiste) :

"une grande partie des reproductions paysagères de notre époque (...) assurent en réalité la reproduction de normes sociales, faites d’ordres convenus, qui tendent à enfermer dans des schémas périmés et contestables de compréhension du monde les hommes qui les reçoivent" (Lazzarotti, 2002, p. 304).

Puisque nous travaillons maintenant dans un contexte multiculturel, il convient de ne pas ignorer l’écart entre deux conceptions ancestrales des paysages "naturels" : celle de l’Occident chrétien, qui les considère comme les plus beaux, et celle du monde arabo-musulman, qui les critique fortement pour leur préférer ceux des cités peuplées (Latiri, 2001).

En Occident :

"La réaction que nous avons devant tout paysage met en jeu notre part intime de Nature. Notre vision du monde extérieur, passant par notre émotion "naturelle", sera influencée par notre attitude devant les puissances de la Nature en général, et spécialement devant celles que nous ressentons à l’intérieur de nous-mêmes. (...) Le statut donné à la Nature, par les individus ou les sociétés sera donc au coeur des affaires touchant le paysage, même quand celui-ci n’est pas du tout, ou pas complètement naturel" (Loiseau et alii, 1993, pp. 43-44).

"Avec l’émergence de la conscience écologique, nous comprenons que, de l’idée que nous nous faisons de la nature, dépendent des conséquences considérables, y compris pour la nature elle-même" (Lévy, 1999).

Étymologiquement, le mot nature vient du substantif grec phusis. Il est construit sur la racine du verbe phuomai, dont le sens est actif : faire pousser, faire naître, produire. Phusis renvoie au processus de cette venue à l’être. Au sens premier, phusis signifie donc origine (Staszak,1996, p. 97).

"Ce sens de naissance et de force s’est doublé de celui de manière d’être, de constitution, et s’est étendu à ce qui est "normal", dans l’ordre des choses, "naturel". Ainsi, dans le mot "nature", il y a la quête de l’origine et du processus, la notion de constitution, de noyau des choses ou des êtres (la nature d’un objet, la nature humaine), et celle de force interne. Dans l’histoire des conceptions philosophiques, la nature n’a pas la valeur stable que leur assignaient les Grecs. Tantôt, l’homme a été dissocié de la nature, comme dans les philosophies dualistes, dans le rationalisme par exemple, tantôt, l’homme à été inclus dans la nature, et la nature dans l’homme - par le biais de la "nature humaine" ; c’est la conception holistique, qui conçoit la nature et l’homme rassemblés dans un tout (le cosmos, l’univers), conception que défend la géographie humaniste."(Lévy, ibidem).

Cet enracinement de nos attitudes et comportements dans les mythes fondateurs est également mis en lumière par la différence entre le regard du chrétien sur la nature, imprégné du message biblique l’invitant à la dominer comme s’il en était propriétaire, et celui du musulman, qui fait intégralement partie de la nature, dont il est responsable et qu’il doit gérer en fonction des commandements divins (Latiri, 2001).

Les relations interculturelles

L’approche interculturelle s’interroge sur la manière dont les différences culturelles sont traitées, par exemple sur le plan politique ou pédagogique.

Trois modèles sont proposés :

- celui de l’assimilation ou du rejet ("je t’accepte si tu renonces à ce qui te caractérise et si tu deviens comme moi") ;

- celui de l’insertion ("je t’accepte avec tes différences, mais nous vivrons séparément, chacun faisant comme il lui plaît") ;

- celui de l’intégration ("essayons de négocier une façon harmonieuse de vivre ensemble").

Cette grille de lecture peut s’appliquer au paysage, par exemple sur le plan plastique :

- l’assimilation caractériserait la rénovation à l’identique ou recherchant le plus de similitude possible avec les caractéristiques "originelles" du lieu ;

- l’insertion accepte la juxtaposition d’éléments contrastés sans souci de l’effet produit ;

- l’intégration se fonde sur une recherche d’harmonie, d’accords perçus comme agréables entre les différents éléments du paysage, même s’ils sont contrastés (contraste au sens oriental du terme, qui désigne l’harmonie d’éléments en opposition, comme l’ombre et la lumière, mais qui s’accordent).

Sur le plan social, il s’agirait de se demander dans quelle mesure le paysage est le fruit d’une négociation ou d’un accord implicite entre tous les acteurs concernés qui respecte les différences culturelles (intégration), s’il témoigne d’une ségrégation sociospatiale où chacun vit à sa manière sur sa portion de territoire (paysage mosaïque de l’insertion) ou s’il résulte de normes imposées par un groupe culturel dominant (assimilation).

Références

Latiri L., 2001. Qu’est-ce que le paysage dans la culture arabo-musulmane classique ?, Cybergéo, n° 196, www.cybergeo.presse.fr/payse...

Latiri-Otthoffer L., 2002. La géographie arabe classique, la religion et le paysage : existe-t-il une vision religieuse de la nature et de l’environnement ?, Actes du Festival de géographie de Saint-Dié, xxi.ac-reims.fr/fig-st-die/actes/actes_2002/otthoffer/article3.htm

Lazzarotti O., 2002. Le paysage, une fixation ?, Cahiers de géographie du Québec, vol. 46, n° 129, Université de Laval, pp. 299-322.

Partoune C., 2004. Un modèle pédagogique global pour une approche du paysage fondée sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, thèse de doctorat, Université de Liège.