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Images panoramiques

( 28 juillet 2008)

Percevoir et penser en hyperpaysage panoramique, c’est prendre l’habitude de regarder tout autour de soi dans l’espace et, par analogie dans le domaine des idées, prendre l’habitude de faire le tour d’une question.

S’appuyant notamment sur les travaux de Johnson (1987) et de Lakoff et Johnson (1985), J. A. Waterworth (2002) suggère que le corps, dans sa relation au monde spatial réel ou virtuel qui l’entoure, est un lieu d’ancrage pour l’activité mentale.

Ces auteurs représentent le courant de la cognition expérientialiste, qui considère que l’expérience physique conditionnerait toutes les autres (affective, mentale, culturelle) : le corps façonnerait l’esprit (The body in the mind).

Lakoff et Johnson pensent que des images-schémas issues de notre expérience incarnée se constituent progressivement dans notre cerveau, sortes de « structures récurrentes, chargées de sens, qui traduisent notre expérience, principalement au niveau des mouvements de notre corps dans l’espace, notre manipulation d’objets et nos interactions perceptives » (Fastrez, 1999). Ces structures organiseraient nos représentations mentales à un niveau plus général.

Corollairement, Waterworth pense que la conception et l’interaction de la Réalité virtuelle viennent en complément des expériences physiques et corporelles comme façon de développer le raisonnement abstrait en s’appuyant sur l’action - réelle ou virtuelle - dans l’espace.

C’est en sympathie avec ces hypothèses que nous accordons une attention particulière aux expériences panoramiques, que ce soit avec l’environnement physique ainsi qu’avec l’environnement virtualisé, comme façon de développer une pensée panoramique.

Pour réaliser un hyperpaysage, la question est en effet de s’interroger sur le cadrage particulier des images que nous allons utiliser, car il est évidemment possible de partir d’une image unidirectionnelle. Pour D. Mendibil, le cadrage est à la fois "un formatage du cadre, du point de vue, de l’échelle, des problématiques et du mode de pensée qu’on peut leur appliquer" (2001, p. 15).

Le choix de réaliser des hyperpaysages panoramiques n’est pas anodin et vise trois objectifs :

• induire, chez les auteurs d’hyperpaysages (et peut-être chez les visiteurs, mais ceci reste probablement plus difficile), l’habitude d’observer tout autour d’eux dans un environnement "réel" ; • proposer une sensation d’immersion dans le paysage, qu’une simple photographie ne procure pas ; • ne pas privilégier une direction d’observation en particulier, ce qui confère une plus grande autonomie au visiteur.

Le contact panoramique avec l’environnement réel

Sur le terrain, l’observateur dispose d’une certaine mobilité de la tête, du tronc et des jambes, ce qui lui permet d’envisager une observation du paysage à 360 degrés. Mais la vision à 360 degrés est liée à cette rotation du corps. C’est probablement pourquoi nous constatons fréquemment que la vision panoramique est une attitude peu habituelle : la plupart des personnes se contentent de regarder droit devant elles et ont rarement le réflexe de se retourner lorsqu’elles sont en promenade, même lorsqu’elles découvrent des lieux inconnus. Le langage renforce cette attitude : nous disons-nous pas volontiers que nous sommes "devant", « face à » un paysage qui nous environne pourtant de toutes parts ?

Par le biais d’activités spécifiques encourageant la perception panoramique, nous pouvons infléchir nos habitudes linéaires. Ce faisant, nous développons une prise de conscience de notre environnement au sens premier du terme : une prise de conscience de l’existence de tout ce qui nous environne, une prise de conscience de l’’écrin au coeur duquel nous prenons place et avec lequel nous interagissons.

Les expérimentations menées dans le cadre des projets hyperpaysages donnent à croire que des changements sont réellement induits, comme l’exprime joliment ce témoignage à l’issue d’une formation : "Je me promène dorénavant avec des yeux derviche-tourneur".

L’expérience panoramique dans un environnement virtuel

Parmi les étapes pour réaliser un hyperpaysage, l’assemblage des photos en panoramique représente un moment captivant. Reconstituer, voir se reconstituer le paysage en morceaux est un plaisir un peu du même ordre que celui qu’éprouve l’amateur de puzzle. Sauf qu’ici, l’opération facilitée par un logiciel d’assemblage procure un effet magique, d’autant plus saisissant que l’opération se réalise en quelques secondes si les photos initiales ont été prises soigneusement. Du coup, la sensation est plus forte. Peut-être parce que par projection, le corps désarticulé se sent recomposé ?

En outre, nous avons pu constater d’une manière générale que le défilement à 360 degrés est amusant. La sensation, au moment de la visualisation du panoramique, se rapproche de celle des tours de carrousel sur la foire : vertige et perte de repères - surprise d’avoir déjà fait le tour - difficulté pour arrêter le regard sur un élément en particulier - recherche de repères facilement identifiables et attente impatiente pour les retrouver - envie, lorsque le carrousel s’arrête, de voir ce qui est redevenu invisible.

Le concepteur peut choisir un défilement automatique et sélectionner l’une des vitesses proposées, ou choisir l’option "déclenchement manuel". Le visiteur devra alors enclencher le défilement, ce qui lui permet d’en choisir le sens. Spontanément, on le sait, la plupart des personnes à qui on demande de se déplacer en cercle ont tendance à tourner dans le sens horlogique, soit de gauche à droite. Pour observer un paysage sur le terrain à 360 degrés, elles feraient sans doute de même. Sur l’ordinateur en mode manuel, elles vont automatiquement "tirer" le paysage vers la droite, alors que l’effet produit sera inverse de l’expérience de terrain. Surprise alors : "mais le paysage défile à l’envers !".

Le défilement automatique que nous avons choisi pour les hyperpaysages réalisés par nos soins ne nous permet pas d’échapper à ce leurre de notre corps : le paysage défile bien de droite à gauche, comme si nous tournions sur nous-même, mais nous avons une sensation de mouvement de droite à gauche également, ce qui est surprenant. C’est pourquoi la sensation ressentie est un peu analogue à celle que nous éprouvions sur un manège. Les pilotes qui s’exercent avec un simulateur de vol connaissent bien ce risque de se fier aux sensations du corps, qui est leurré dans un paysage virtuel par rapport à la situation réelle.

Conclusions

Faire le tour à 360 degrés sur l’écran (pour visualiser le panoramique) ou dans la réalité (pour prendre les photos ou pour observer le terrain), c’est introduire une expérience corporelle-kinesthésique (réelle ou virtuelle) qui, si la personne qui l’effectue la relie bien à une démarche intellectuelle qui a du sens pour elle, s’apparente à un processus d’apprentissage du type feeling and thinking, où l’expérience du corps et de l’esprit sont en phase. Cette conception rejoint la notion d’intelligence corporelle-kinesthésique développée par H. Gardner.

Par l’expérience de la construction d’hyperpaysage panoramiques, nous espérons que les auteurs garderont l’habitude de regarder tout autour d’eux, au propre comme au figuré (ai-je fait le tour de la question ?), l’expérience physique des prises de vues ainsi que la visualisation virtuelle jouant le rôle de mémoire corporelle-kinesthésique. Nous faisons l’hypothèse que la mémoire de ce qui aura été vécu comme un événement porteur de sens aura plus de chance d’être réactivée, soit lorsque la personne se trouvera dans un paysage particulier avec une question à résoudre, soit devant un problème à résoudre ou une question, sans visualisation du contexte environnant au départ.

Références

Fastrez P., 1999. Aspects sémio-cognitifs de la navigation hypertextuelle - Approche théorique, mémoire en DEA Communication, Louvain-la-Neuve, UCL.

Lakoff G., Johnson M., 1985. Les métaphores dans la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit, 250 p.

Mendibil D., 2001. Quel regard du géographe sur les images du paysage ?, in Enseigner le paysage ?, coord. Leroux A., Actes d’un séminaire IUFM de Caen - 17-24 mars 1999, Caen, CRDP de Basse-Normandie, pp. 11-26.

Partoune C., 2004. Un modèle pédagogique global pour une approche du paysage fondée sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, thèse de doctorat, Université de Liège, ch. II, VI et VII.

Waterworth J.A., 2002. Conscience, action et conception de l’espace virtuel : relier les technologies de l’information, l’esprit et la créativité humaine, in Cognition et création, explorations cognitives des processus de conception, Borillo M. et Goulette J.-P. (dir.), Sprimont, Mardaga.