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Complexité

( 28 juillet 2008)

Avec André de Peretti et Jean-Louis Le Moigne, le sociologue Edgar Morin fait partie des scientifiques français qui ont centré leurs recherches sur la notion de complexité et celle de pensée complexe. Ils ont fondé l’Association internationale pour la Pensée Complexe (APC), et un réseau "Intelligence de la Complexité" via un programme européen « MCX, Modélisation de la CompleXité ».

La pensée complexe

Pour E. Morin (1999), la pensée complexe...

• relie ce qui est disjoint et compartimenté et discerne les interdépendances : au lieu d’opposer les concepts, elle les place sur un curseur "dialogique" (relation à la fois concurrente, antagoniste et complémentaire), les considérant comme indissociables (individu et société, Orient et Occident, ordre et désordre, ...) ;

• conçoit la relation entre les parties et le tout : elle n’isole pas l’objet étudié mais le considère dans et par sa relation avec son contexte culturel, naturel, social, économique, politique ;

• reconnaît l’unique dans la diversité ;

• conçoit une dialectique de l’action et est capable de modifier l’action entreprise, voire de l’annuler ;

• reconnaît son inachèvement et négocie avec le principe d’incertitude.

Le principe d’incertitude

Le principe d’incertitude est tellement étranger à la culture occidentale dominante qu’il mérite un développement plus étoffé. En tenir compte signifie plusieurs choses.

L’incertitude évoque d’abord des événements inattendus, imprévisibles, qui peuvent non seulement bouleverser le cours des événements mais aussi nos théories et nos idées. Ce sont aussi les inventions, les créations qui surgissent un peu partout dans le monde, pour le meilleur et pour le pire, tout comme les destructions conduisant à la disparition de populations, à la perte irréversibles de productions, de savoirs et de savoir-faire, au déséquilibre des écosystèmes (Morin, 1999).

Tenir compte de l’incertitude, c’est aussi reconnaître les incertitudes liées à la connaissance. Non seulement reconnaître les zones d’ombre que le « réel » a pour nous (« savoir qu’il y a du possible encore invisible dans le réel » - Morin, 1999, p. 47), mais aussi reconnaître à quel point notre connaissance peut être entachée d’erreurs et d’illusions.

Enfin, il y a aussi l’incertitude liée à toutes nos actions, dont les effets nous échappent quoi que nous fassions, parce qu’elles s’inscrivent dans un système complexe. Cette idée débouche sur la notion d’écologie de l’action, qui intègre la prise de risque et le principe de précaution, du fait de l’imprédictibilité à long terme des conséquences de nos actions. L’écologie de l’action considère aussi que les moyens et les fins inter-rétro-agissent les uns sur les autres. Dès lors, « il est presque inévitable que des moyens ignobles au service de fins nobles pervertissent celles-ci et finissent par se substituer aux fins. (...) Il n’est donc pas absolument certain que la pureté des moyens aboutisse aux fins souhaitées, ni que leur impureté soit nécessairement néfaste » (ibidem, p. 48).

L’action peut avoir trois types de conséquences insoupçonnées : des effets néfastes inattendus, plus importants que les bénéfices escomptés ; des effets nuls, voire un renforcement de la situation que l’on souhaite changer (« plus ça change, plus c’est la même chose ») ; la mise en péril des acquis obtenus.

Le principe d’incertitude nous renvoie aussi au concept de "boîtes noires" : "il y a des termes, des concepts, des modèles ou des appareils que l’on peut utiliser sans nécessairement les comprendre dans le détail et sans approfondir leur structure, leur fonctionnement ou les théories qui les expliquent" (Fourez, 2001).

Savoir lâcher prise

L’on peut s’interroger sur le rapport coûts/bénéfices d’une plongée dans la complexité en raison de son caractère flou, changeant et peu structuré (Lapointe, s.d.). Il faut pouvoir accepter la différenciation des perspectives, des angles, des approches cognitives, des systèmes de valeurs. Il faut pouvoir se laisser surprendre et lâcher prise avec le désir de tout contrôler, à l’encontre de l’illusion de maîtrise sans cesse consolidée par la multiplication, la sophistication et la puissance des techniques modernes.

L’homo complexus

Dans ses ouvrages sur la complexité, E. Morin met aussi en lumière l’idée d’"homo complexus" : "Chez l’être humain, le développement de la connaissance rationnelle-empirique-technique n’a jamais annulé la connaissance symbolique, mythique, magique ou poétique" ; l’être humain est infiniment complexe et "porte en lui de façon bipolarisée des caractères antagonistes (rationnel et délirant, travailleur et joueur, empirique et imaginaire, économe et dilapidateur, prosaïque et poétique" et dans les créations humaines, il y a toujours le double pilotage "sapiens-demens" (Morin, 1999, p. 30).

C’est la même idée que l’on retrouve chez J. de Rosnay, dans son ouvrage "L’homme symbiotique" (1995), qui plaide pour une reconnaissance de toutes les « formes de pensée » à l’œuvre chez l’individu.

Références

Lapointe J., s.d. L’approche systémique et la technologie de l’éducation, Québec, Université Laval, Département de technologie de l’enseignement - Faculté des sciences de l’éducation. www.fse.ulaval.ca/fac/ten/re...

Morin E., 1977, La méthode - La Nature de la Nature (t. 1), Paris, Seuil, coll. Points.

Morin E., 1980, La méthode - La Vie de la Vie (t. 2), Paris, Seuil, coll. Points.

Morin E., 1986. La Méthode : La Connaissance de la connaissance, Anthropologie de la connaissance, Les doubles jeux de la connaissance (t. 3), Paris, Seuil, coll. Points.

Morin E., 1990, Introduction à la pensée complexe, Paris, Seuil.

Morin E., Kern A.-B., 1993. Terre-Patrie, Paris, Seuil.

Morin E., 1999. Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Paris, Unesco, 67 p.