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Intelligence corporelle-kinesthésique

( 22 août 2008)

Percevoir et penser en hyperpaysage, c’est accorder une place importante à l’expérience de terrain afin de valoriser une intelligence corporelle-kinesthésique de l’espace.

Les multiples formes d’expression de l’intelligence

Parmi les nombreuses grilles d’intelligences qui ont été élaborées, la théorie des Intelligences Multiples d’Howard Gardner a le mérite d’être particulièrement simple à comprendre et pratique à utiliser dans une quelconque situation d’apprentissage. Son succès dans le monde anglo-saxon depuis sa parution en 1983 a été considérable, en particulier dans les champs de l’éducation et de la formation permanente. Elle a fait l’objet de très nombreux livres d’application en langue anglaise.

Dans la traduction française (1996) de l’ouvrage "Frames of Mind" (1983) huit formes d’intelligence sont proposées. Aujourd’hui, l’équipe d’H. Gardner travaille sur une neuvième forme d’intelligence. Elles sont présentées dans le schéma ci-dessous.

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L’intelligence s’exprime sous de multiples formes

L’intelligence corporelle-kinesthésique

Comment reconnaît-on quelqu’un qui présente ce qu’Howard Gardner a appelé une intelligence corporelle-kinesthésique ? C’est quelqu’un qui présente bon nombre des caractéristiques suivantes :

- est à l’aise dans les situations où le corps est en action, réellement ou virtuellement ;

- contrôle bien les mouvements de son corps dans l’espace ; sait difficilement rester longtemps sans bouger ;

- s’exprime par le mouvement, les gestes ;

- est plus réceptif à un message codé physiquement ;

- s’approprie son environnement par le mouvement, le toucher, la manipulation d’objets ;

- est habile dans l’action en général, dans toutes les activités qui demandent une mobilisation d’une partie du corps ou de tout le corps, comme la fabrication, la production de quelque chose de concret.

Parcourir l’espace

Au cours de la réalisation d’un hyperpaysage, il convient de solliciter tout particulièrement l’intelligence corporelle-kinesthésique à travers différentes activités liées au nécessaire et indispensable parcours pour investiguer l’espace :

• Se promener librement pour entrer en contact avec les lieux ; explorer méthodiquement l’espace.

• Utiliser des instruments d’observation, manipuler des objets, toucher les matériaux, récolter des échantillons, réaliser des expériences,....

• Chercher son chemin, s’orienter dans l’espace, réaliser ou utiliser une carte.

La représentation du paysage par le croquis, le dessin, la maquette, la photo, ou d’autres modes de communication non verbale font également intervenir l’intelligence corporelle.

Bien entendu, cette forme d’intelligence est étroitement liée, pour ce qui nous concerne, à l’intelligence visuo-spatiale.

Penser l’espace

Ces activités d’investigation sur le terrain vont progressivement installer dans l’esprit des auteurs d’hyperpaysage une carte des lieux, que l’on appelle une carte mentale.

Pour des chercheurs comme Lakoff et Johnson, tenant du courant de la cognition expérientialiste, le parcours de l’espace a une incidence essentielle sur notre manière de penser. Pour eux, en effet, nous raisonnons sur base de catégories spatiales ; nous ancrons l’information dans des lieux même si l’information n’a pas de rapport avec ces lieux ; notre expérience spatiale habituelle, notre interaction avec notre environnement physique induirait une structure mentale à partir de laquelle nos idées seraient structurées (1985, p. 66).

Ce modèle de la vie mentale considère que le traitement sensori-moteur de l’information concerne le concret, tandis que le traitement cognitif concernerait l’abstrait. Cette position est en contradiction avec l’approche cognitiviste, qui pense que l’homme fonctionne, apprend et comprend à travers sa capacité de représenter le monde par une série de symboles abstraits pouvant être manipulés consciemment, notion qui se base sur la métaphore dominante des années 70 et 80, l’esprit-machine.

Cette interprétation de la façon dont notre cerveau fonctionne est extrêmement intéressante. Ce qui nous gêne, c’est son caractère unidirectionnel. En effet, Lakoff et Johnson prétendent que notre expérience physique est en quelque sorte isolée, qu’elle est antérieure aux autres expériences (sociales, entre autres) et que "nous conceptualisons habituellement le non-physique en termes physiques" (p. 68). Peut-on vraiment affirmer que cette expérience physique est indissociable d’une dimension culturelle ainsi que de notre expérience affective ?

Rien n’empêche cependant de considérer qu’il puisse y avoir une interaction entre notre expérience de l’espace (au sens global, impliquant tout l’homo complexus), la façon dont nous le structurons mentalement et notre façon d’associer des idées entre elles, mentalement ou explicitement.

Ce sont ces liens que nous proposons d’explorer à travers la construction d’hyperpaysages, qui suppose une expérience avec un environnement physique et aboutit à la mise en forme d’une communication à son propos, en passant par un travail d’élaboration mentale d’idées mises en parcours.

Waterworth (2002) pense que la conception et l’interaction de la Réalité virtuelle (RV) viennent en complément des expériences physiques et corporelles comme façon de développer le raisonnement abstrait en s’appuyant sur l’action dans l’espace, réelle ou virtuelle.

Ainsi, à travers la réalisation d’un hyperpaysage, l’intelligence corporelle-kinesthésique est non seulement sollicitée au moment de l’ancrage dans l’espace réel, via les activités sur le terrain, mais aussi par l’ancrage dans l’espace virtuel, l’hyperpaysage pouvant être considéré comme un modèle virtuel en 3D structurant la pensée de l’auteur.

Dès lors, pour élargir l’hypothèse de Lakoff et Jonhson, nous pouvons présumer que notre relation « réelle » à l’environnement pourraît être modifiée par les relations « virtuelles » d’un nouveau type que les hyperpaysages nous offrent.

Selon certains auteurs, du fait que "les hypertextes ne peuvent être appréhendés totalement, ni physiquement, ni intellectuellement, l’hypertextualité exige un nouveau corps. Pas un corps qui cherche son plaisir dans les satisfactions fournies par l’achèvement et la clôture d’une chose ou dans les assurances du cogito cartésien, mais un corps qui retrouve un plaisir dans les possibilités de connexion et d’ouverture (H. Bloch et C. Hesse, cités par Bernier, 1998).

Quelle que soit la problématique à traiter, la métaphore de l’hyperpaysage pourrait nous amener à nous ancrer différemment dans l’espace : à le parcourir en étant conscient que ce parcours va contribuer à la construction d’une carte mentale dynamique qui va à son tour conditionner notre façon de penser la manière dont fonctionne cet espace.

Dès lors, la façon dont nous allons parcourir l’espace, la façon de parcourir l’espace que nous allons proposer aux élèves pour réaliser l’hyperpaysage, ne sont pas anodines en termes d’imact mental. Nous pouvons présumer en effet que certaines modalités privilégieront une approche séquentielle et analytique de l’espace, modalités sans doute plus rassurantes, à partir d’un protocole clair et préétabli de recueil de l’information, renforçant une pensée de type linéaire, tandis que d’autres correspondront davantage à une approche intuitive de l’espace, plus floues dans leurs intentions, plus ouvertes, plus insécurisantes aussi, prenant le risque d’entrer en contact tout à la fois avec les imprévisibles désirs et élans de la personne qui explore tout comme avec les événements impondérables qui peuvent survenir durant le parcours.

Le débat est ouvert. Nous laissons à chacun le loisir d’analyser quelques exemples qui mettent en lumière différentes façons de parcourir un espace :

- Musarder librement, avec ou sans consigne.

- Suivre un parcours préétabli (fléché ou reporté sur une carte).

- Explorer l’espace méthodiquement à partir d’un quadrillage, ou quartiers par quartiers, à partir d’un "centre".

- Effectuer une série de transects au hasard, à partir d’un point "central".

- Effectuer une série de transects judicieusement choisis à partir d’une analyse préalable de la carte topographique.

- Découvrir l’espace avec un guide.

- Explorer l’espace à partir des axes qui le structurent, au départ d’une carte ou d’un plan.

- Définir un parcours à partir d’une vision aérienne de l’espace (point de vue élevé) et des points focaux qui attirent.

Références

Bernier G., 1998. Des cadavres exquis aux paradis virtuels, mémoire de maîtrise en littérature québécoise, Québec, Université Laval. membre.megaquebec.net/gulliver/cadavres.html

Gardner H., 1996. Les intelligences multiples. Pour changer l’école : la prise en compte des différentes formes d’intelligence, Paris, Retz.

Gardner, H., 1997. Les formes de l’intelligence, Paris, Odile Jacob. Traduction française de Frames of Mind, édité en 1983 et réédité en 1993.

Lakoff G., Johnson M., 1985. Les métaphores dans la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit, 250 p.

Partoune C., 2004. Un modèle pédagogique global pour une approche du paysage fondée sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, thèse de doctorat, Université de Liège, ch. VI.

Waterworth J.A., 2002. Conscience, action et conception de l’espace virtuel : relier les technologies de l’information, l’esprit et la créativité humaine, in Cognition et création, explorations cognitives des processus de conception, Borillo M. et Goulette J.-P. (dir.), Sprimont, Mardaga.