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Métaphores

( 28 juillet 2008)

Définition

Etymologiquement, "métaphore" nous vient du grec et veut dire "transport" au sens propre. La métaphore désigne une façon d’exprimer quelque chose d’abstrait à l’aide d’une image concrète pour mieux se faire comprendre. Par exemple, on dira d’une personne que c’est une locomotive, ou au contraire un boulet.

Une métaphore ne signifie pas analogie stricte : les métaphores sont fondées sur des corrélations perçues par notre expérience et ne sont pas des sortes de mises en valeur de similitudes existant objectivement dans le monde réel. Mais comme les liens entre l’image et l’idée ne sont pas explicités, l’interlocuteur doit interpréter la signification de l’image. Plus le sens apparaît comme évident pour l’interlocuteur, plus la métaphore sera puissante.

Métaphores et processus cognitifs

Pour G. Lakoff et M. Johnson (1985), les métaphores sont plus que des figures poétiques du langage : ce sont nos processus cognitifs qui seraient largement métaphoriques. Le langage serait le témoin de cette structuration.

Plusieurs types de métaphores sont distinguées :

• les métaphores structurales (qui utilisent un concept hautement structuré pour en structurer un autre ; métaphore de l’arbre, par exemple) ; • les métaphores d’orientation (qui organisent "un système entier de concepts les uns par rapport aux autres" (p. 24), le plus souvent selon des relations spatiales : avoir une haute opinion) ; • les métaphores ontologiques d’entités et de substances (qui permettent d’assigner des limites aux phénomènes physiques ou abstraits ; comparer quelqu’un à un lion).

Pour Moscovici (1976), la métaphore satisferait deux tendances fondamentales de l’esprit humain : le besoin de cohérence et le principe d’économie cognitive.

Le besoin de cohérence correspond à la pensée analogique, à la recherche de liens, d’harmoniques dans le monde. Le principe d’économie cognitive signifie que la métaphore permet d’éviter les détours parfois laborieux de la démonstration logique : « Elle donne une représentation instantanée d’un objet ou d’un phénomène sous forme d’une image mentale qui se concrétise, très souvent, par une image physique" (Beguin, 1996, p. 78).

Partant de l’idée qu’une métaphore constitue un pont analogique entre les savoirs scientifiques et les savoirs sociaux (Beguin, op. cit), ou entre disciplines (Morin, 1986), le principe de cet apprentissage est de baser les connaissances à acquérir dans un domaine (domaine cible) sur des connaissances antérieures dans un autre domaine, celui de la connaissance quotidienne de l’apprenant (domaine source).

Il existe de nombreuses théories en psychologie cognitive sur le fonctionnement des processus cognitifs sous-jacents à l’utilisation des analogies et métaphores. Les trois étapes suivantes sont généralement admises (Gineste, 1997) :

1. Trouver un domaine source ("récupération") ;

2. Établir des correspondances entre le domaine source et le domaine cible ("projection") ;

3. Décrire l’élément du domaine cible en fonction de l’élément correspondant du domaine source ("transfert").

La métaphore comme stratégie pédagogique

Pour A. Beguin (op cit.), l’usage ou le non usage de la métaphore dans le domaine pédagogique apparaît comme symptomatique de la relation dans laquelle on s’inscrit. Le refus de la métaphore, quasiment absente des manuels alors qu’elle abonde dans les ouvrages de vulgarisation scientifique, signifie pour elle « une vision transmissive de la diffusion des savoirs par opposition à une perspective constructiviste, centrée sur l’élève".

Mais même quand la métaphore est utilisée, on peut observer dans la plupart des expériences pédagogiques relatées dans la littérature que les métaphores sont celles de l’enseignant, dans un dispositif transmissif. Or, on peut constater que les résultats escomptés en termes de transfert par les élèves sont décevants lorsque la métaphore est élaborée sans suffisamment tenir compte des élèves et de leur univers de signification. Ce n’est donc pas le fait d’utiliser des métaphores qui est, pour nous, significatif d’un dispositif constructiviste.

Nous pensons que les métaphores peuvent se révéler extrêmement porteuses pour l’apprentissage, et en particulier pour le transfert des connaissances, à condition d’être utilisées dans une optique constructiviste. La production de métaphore est alors un exercice en tant que tel. Par exemple, les apprenants sont invités à exprimer sous forme de métaphore la façon dont ils comprennent un concept ou dont ils qualifient le processus d’apprentissage qu’ils sont en train de vivre. Les métaphores deviennent alors un matériau pour réfléchir et aller plus loin : pour aider les personnes à préciser leur pensée, à la confronter avec celle des autres, à chercher à en combiner plusieurs, à les enrichir aussi.

Métaphores structurales et façon de penser

Les métaphores apparaissent surtout porteuses de sens par rapport à nos objectifs de développement de la pensée complexe lorsqu’elles permettent de dégager une structure, une organisation, un réseau relationnel, une dynamique. En l’occurrence, il s’agirait d’aider les apprenants à identifier, à l’aide de métaphores, de quelle façon ils traitent l’information pour établir des mécanismes de causalité et choisir, le cas échéant, de profiler leur raisonnement autrement, en prenant une métaphore significative comme référence. Cette structure que l’on aura saisie dans la métaphore pourra être éventuellement transférée à un autre objet de réflexion, à un autre problème à résoudre, pour peu que l’on décide qu’il y a similarité entre les deux situations. Le transfert ne se décrète pas, il se construit et résulte d’un choix.

C’est évidemment un scénario moins confortable pour l’enseignant ou le formateur : tout va dépendre en effet de sa capacité d’adaptation à la situation, profil d’intelligence qui ne convient pas à tous. Mais cela s’apprend, comme toute chose, et cette stratégie de métacognition peut vraiment donner des résultats spectaculaires auprès de certains apprenants qui auront été ainsi rejoints dans un de leur style d’apprentissage, celui qui sollicite l’imaginaire et l’intuition.

Pour terminer, signalons que la position de Lakoff et Johnson concernant les métaphores intéresse tout particulièrement les géographes puisqu’il estime, d’après G. Pirotton (1994, p. 75) que nous raisonnons, en dernière instance, sur base de catégories spatiales, que nous ancrons l’information dans des lieux même si l’information n’a pas de rapport avec ces lieux : "La structure de nos concepts spatiaux émerge de notre expérience spatiale habituelle, de notre interaction avec notre environnement physique" (1985, p. 66).

Peut-on vraiment affirmer que cette expérience physique est indissociable d’une dimension culturelle ainsi que de notre expérience affective ? Lakoff et Johnson prétendent qu’elle peut être en quelque sorte isolée, qu’elle est antérieure aux autres et que "nous conceptualisons habituellement le non-physique en termes physiques" (op cit, p. 68). Rien n’empêche cependant de considérer qu’il puisse y avoir une interaction entre notre expérience de l’espace (au sens global, impliquant tout l’homo complexus), la façon dont nous le structurons mentalement et notre façon d’associer des idées entre elles, mentalement ou explicitement.

Ce sont ces liens que nous proposons d’explorer à travers la construction d’hyperpaysages, qui suppose une expérience avec un environnement physique et aboutit à la mise en forme d’une communication à son propos, en passant par un travail d’élaboration mentale d’idées mises en parcours. L’hyperpaysage en lui-même pourrait servir de métaphore de référence.

Le transfert analogique chez les enfants

Bien que les analogies soient fréquemment utilisées comme technique d’enseignement ou pour tester les habiletés en raisonnement dans les tests d’intelligence, elles ne sont généralement pas pensées pour les enfants en tant que stratégies d’apprentissage. Pourtant, des études anglophones datant d’un vingtaine d’années (Holyoak et alii, 1984) ont montré que des enfants de 4-6 ans étaient capables de transférer une solution trouvée à un problème initial pour résoudre un autre problème. Bien entendu, plus ils sont jeunes, plus le degré de similarité entre les deux situations doit être important.

Dans le domaine de la perception et de la cognition de l’espace, ces observations rejoignent les idées de Liben et Yekel (1996), qui estiment que les jeunes enfants relient davantage sur base d’une similitude perçue (perceptual similarity) lorsqu’ils interprètent des symboles ambigus sur des cartes . Cependant, dans des circonstances appropriées, même des enfants de 2-3 ans démontrent qu’un haut degré de similarité entre symboles et réalité n’est pas toujours nécessaire (Brown, 1989). Goswami et alii (1998) montrent même que des enfants de 3 ans peuvent résoudre des analogies classiques en l’absence d’indices de similarité de surface (similarité de situation rendue évidente par la similarité d’aspect).

Ces chercheurs remettent en question les idées piagétiennes à ce sujet. Le fonctionnement par analogie dépendrait davantage du domaine de connaissance que du stade de développement : "Three-years-old were able to solve the analogies, demonstrating that they can reason about higher-order relations, as long as those relations are understood" (Nock, 2002).

Une étude montre également que les enfants qui sont plus facilement capables de raisonner par analogie sont davantage capables d’interpréter des cartes (Nock et alii, 2001). S’ils doivent reconstituer un espace, des enfants de 4-5 ans montrent une sensibilité aux relations angulaires (orientation dans l’espace) mais pas à la notion d’échelle. La question n’est donc plus de savoir si de jeunes enfants sont capables d’interpréter du matériel cartographique, mais plutôt comment ils le font, comment ces habiletés se développent et quels facteurs facilitent leur compétence.

Pour interpréter une carte, ils doivent être capables de percevoir les relations entre la représentation et la réalité, entre les symboles sur la carte et les objets réels (exemple : cercles sur la carte = arbres). La position relative des objets les uns par rapport aux autres doit pouvoir être reconnue dans la réalité. Évidemment, les enfants sont plus performants lorsqu’ils connaissent déjà bien l’environnement réel. Apparemment, il n’y aurait pas de différence entre les filles et les garçons à ce sujet.

Des chercheurs ont semble-t-il prouvé que de très jeunes enfants (un an) sont capables de percevoir la similarité dans les structures de différents problèmes et transfèrent des stratégies de solution d’un contexte à l’autre, même si les données apparentes sont différentes. Ils peuvent donc construire des représentations mentales flexibles et abstraites. Ces chercheurs postulent même que le raisonnement par analogie est sans doute l’un des accomplissements possibles de la première année (Lidster et Bremmer, 1999 ; Chen et alii, 1997).

Conclusion

La conclusion de ces recherches est que la capacité de symboliser apparaît bien innée, mais l’expérience et l’instruction facilitent la performance. Au niveau de l’apprentissage, la métacognition à l’aide de métaphores facilite le transfert (Brown, 1989).

Références

Beguin, A., 1996. La métaphore absente, Paris, Retz, coll. Communication et langage.

Brown A.L., 1989. Analogical reasoning and transfert : What develops ?, in Similarity and Analogical Reasoning, S. Vosniadou et A. Ortony (éds), Cambridge, CUP, pp. 369-412.

Chen Z., Sanchez R.P., Campbell T., 1997. From beyond to within their grasp : The rudiments of analogical problem solving in 10 and 13-month-olds, Development Psychology, 33, pp. 790-801.

Gineste M. D., 1997. Analogie et Cognition, Paris, PUF, coll. Psychologie et Sciences de la Pensée.

Goswami U., Leevers H., Pressley S., Wheelwright S., 1998. Causal reasoning about pairs of relations and analogical reasoning in young children, British Journal of Developmental Psychology, 16, pp. 553-569.

Holyoak K.J., Spellman B.A., 1993. Thinking, Annual Review of Psychology, 44, pp. 265-315.

Lakoff G., Johnson M., 1985. Les métaphores dans la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit, 250 p.

Liben L. S., Yekel C. A., 1996. Preschoolers’ understanding of plan and oblique maps : The role of geometric and representational correspondence, Child development, Vol. 67, pp. 2780-2796.

Lidster W., Bremmer G., 1999. Interpretation and construction of coordinate dimensions by 4- to 5-year-old children, British Journal of Developmental Psychology, Vol. 17, pp. 189-201.

Morin E., 1986. La Méthode : La Connaissance de la connaissance, Anthropologie de la connaissance, Les doubles jeux de la connaissance (t. 3), Paris, Seuil, coll. Points.

Moscovici S., 1976. La Psychanalyse, son image et son public, Paris, PUF.

Nock, 2000.

Partoune C., 2004. Un modèle pédagogique global pour une approche du paysage fondée sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, thèse de doctorat, Université de Liège, ch. V.

Pirotton G., 1994. Métaphore et communication pédagogique. Vers un usage délibéré de la métaphore à des fins pédagogiques, in Recherches en communication, n° 2, dossier Métaphores 2, pp. 73-89.