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Cartes mentales dynamiques

( 22 août 2008)

Percevoir et penser en hyperpaysage, c’est intégrer l’idée de la mémorisation de nos mouvements physiques, intellectuels ou émotionnels dans notre manière de "cartographier" une situation ou une problématique.

Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque nous parcourons un trajet connu ?

Il y a aujourd’hui deux conceptions de la mémoire spatiale :

• pour certains, nous construisons une carte mentale statique ;

• pour d’autres, nous construisons une carte mentale dynamique.

Les chercheurs ont jusqu’ici privilégié l’hypothèse selon laquelle nous mémorisions des cartes topographiques statiques, composées de repères visuels et de distances. Ces conceptions s’appuient sur l’existence de " cellules de lieu " dans l’hippocampe, structure du cerveau impliquée notamment dans la mémoire, ou sur le fait que les coordonnées spatiales semblent être représentées dans le cortex pariétal.

S’appuyant sur une série d’expériences, Alain Berthoz remet en cause l’idée selon laquelle le cerveau est essentiellement conçu pour traiter de l’information visuelle cartographique. Il avance l’hypothèse que la mémoire de l’espace fait en réalité appel à une mémoire du mouvement qu’il appelle "mémoire topokinesthésique", basée sur les mouvements du corps associés à des repères visuels ou acoustiques.

Dans la carte mentale dynamique, le parcours est "jalonné de repères visuels séparés par des distances, mais il est aussi constitué d’une série de mouvements du corps liés, par exemple, aux changements de direction" (Berthoz et Mazoyer, 1998). La "carte mentale compredrait une "carte auditive" : lorsque nous effectuons un trajet, un neurone s’activerait au passage de certains objets clés (interrupteur, par exemple). Le système vestibulaire interviendrait dans le codage d’une mémoire du mouvement et de l’orientation.

Ces spéculations sont basées sur des études de patients souffrant de lésions cérébrales, chez qui la capacité à reconnaître des repères terrestres familiers est dissociée de la capacité à décrire les chemins reliant un endroit à un autre. Des travaux récents de l’équipe, utilisant la réalité virtuelle, ont confirmé ces hypothèses. Ce type de dissociation est également observable chez quelqu’un n’ayant pas subi de traumatisme. Dans d’autres cas, les patients, notamment ceux atteints de lésions du système vestibulaire (lié au sens de l’équilibre), peuvent décrire les trajets et reconnaître les repères terrestres, mais ceux-ci ne sont alors plus porteurs d’information de direction.

La manière dont les aveugles s’approprient l’espace semble également une voie prometteuse. Dans quelle mesure cela peut-il avoir une influence sur leur manière de penser ? Se construire une carte mentale efficace est plus vital pour eux que pour les voyants. Des chercheurs ont travaillé avec des enfants aveugles. Apparemment, ces enfants utilisent une carte mentale dynamique : leur compréhension de l’espace serait fondée depuis longtemps sur une carte-itinéraire comme schéma de référence (Spencer et alii, 1992 ; Nock, 2002).

Ces recherches confortent notre idée d’explorer l’éventualité d’un conditionnement mental en fonction de la façon dont nous avons l’habitude de nous déplacer. En effet, l’éducation n’est sans doute pas étrangère à la façon dont nous avons pu réaliser nos premières explorations de l’environnement. Avons-nous pu le faire librement, en établissant nous-mêmes la carte des liens entre les lieux qui s’offraient à nous ? ou avons-nous été contraints de découvrir notre environnement en donnant la main à l’adulte qui veillait sur nous ? Des chercheurs commencent à s’intéresser à ces questions.

Ce questionnement a guidé nos choix concernant le mode de navigation dans un hyperpaysage, de même que le fait d’imposer comme contrainte le fait d’insérer un mini-panoramique au bas de chaque page d’information, qui rappelle d’où l’on vient.

Pour le visiteur de l’hyperpaysage, ces mini-panos lui permet plus facilement de se remémorer le trajet visuellement ou de revenir "sur ses pas" s’il le souhaite.

Pour le concepteur de l’hyperpaysage, cette contrainte poursuit un autre objectif : le fait même de réaliser cette opération technique contribue à ancrer dans son esprit la dynamique d’ensemble des trajets potentiels, de lieux en lieux. C’est une manière de visualiser mentalement et progressivement un graphe de parcours qui serait non pas exprimé sous forme de mots-clés, comme on le voit habituellement, mais sous forme de photos panoramiques de paysage et de photos de lieux ou d’éléments de lieux.

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Un graphe de parcours en images
C. Partoune, 2008.

Références

Berthoz A, Mazoyer B., 1998. Sens du mouvement, mémoire du corps, Caen, CNRS. www.cnrs.fr/Cnrspresse/Archi...

Berthoz A., Israël I., Georges-François P., Grasso R, Tsusuku T., 1995. Spatial memory of body linear displacement : What is being stored ?, Science, 269 : pp. 95-98.

Partoune C., 2004. Un modèle pédagogique global pour une approche du paysage fondée sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, thèse de doctorat, Université de Liège.