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Visé à 360°

( 19 novembre 2008)

Contexte

Quatre hyperpaysages à Visé et alentours ont été réalisés dans le cadre de la première recherche-action consacrée aux hyperpaysages, menée par l’Institut d’Eco-pédagogie, en partenariat avec le Laboratoire de méthodologie de la géographie de l’Université de Liège.

Cette recherche était soutenue par la Direction Générale des Ressources Naturelles et de l’Environnement de la Région wallonne dans le but de sensibiliser les jeunes à la nature et à l’environnement.

Une classe de 5e technique de transition (18 élèves) et une classe de 5è technique de qualification - option informatique (15 élèves) ont participé au projet, avec l’appui de leur professeur de français, Madame Marie-Véronique Mignon, et de leur professeur d’informatique, Monsieur Philippe Paquay.

Le projet a duré 6 mois (de janvier à juin 2001), à raison de 2 heures de cours par semaine pour chaque classe. La stratégie générale d’apprentissage se réfère à la pédagogie du projet.

Objectifs d’apprentissage

Les tâches étaient différenciées pour chaque classe, l’une s’occupant de la partie rédactionnelle, avec le professeur de français, l’autre de la partie infographique, avec le professeur d’informatique.

Le professeur de français souhaitait pouvoir développer, au travers de l’expérimentation, les compétences langagières définies dans le programme. Le professeur d’informatique s’intéressait surtout au fait de donner du sens à un cours d’initiation à l’Internet (recherche sur le web, utilisation du courrier électronique) au multimédia (gérer des informations "images » et les intégrer dans un ensemble plus général ; créer des produits personnels contenant du texte et de l’image, bien structurés et accessibles très largement ; construire des sites web).

Déroulement de l’expérimentation

La formation des enseignants

À partir du moment où le projet a été accepté, trois séances de travail ont été consacrées à la formation des enseignants, portant essentiellement sur trois points : • l’écriture-lecture d’un hypermédia, et singulièrement d’un hyperpaysage, au service de nos objectifs ; • les techniques pour réaliser un hyperpaysage ; • la gestion du travail des élèves en pédagogie du projet.

Pour le professeur de français, il s’agissait d’une première expérience de travail de lecture-écriture utilisant les ressources Internet. Sans passer à la phase d’apprentissage technique, il lui fallait comprendre les nouvelles possibilités du langage HTML pour pouvoir les intégrer dans les consignes de travail pour les élèves : liens au sein d’une même page, liens d’une page à une autre, liens vers des sites extérieurs ; liens à partir de mots, liens à partir d’une image ou d’une partie d’image, ... Il fallait également bien comprendre comment allaient s’organiser tous les documents informatiques produits.

Le professeur d’informatique maîtrisait la création de pages web et avait déjà créé son propre site. Il lui fallut apprendre à maîtriser les outils spécifiques aux hyperpaysages (assembler les photos pour en faire des panoramiques à 360° ; insérer des escamots dans l’image panoramique et les relier à des pages web ; associer une carte au panoramique et y pointer l’endroit d’où les photos sont prises). Pour transmettre son savoir-faire aux élèves, il privilégia l’apprentissage programmé et conçut des fiches de travail permettant aux élèves d’avancer à leur rythme et de manière autonome.

Les deux enseignants se sont également appropriés les principes de l’approche systémique, de l’approche culturelle du paysage et de l’approche pédagogique globale de la personne (diversité de méthodes pédagogiques et des méthodes de communication), domaines où ils avaient peu de références.

Enfin, la pédagogie du projet requiert des compétences spécifiques qui ne font pas toujours partie de la formation initiale des enseignants (techniques de dynamique de groupe, conduite de réunion, gestion du travail en sous-groupes, gestion des relations humaines, etc.). Si le professeur de français était coutumière de ces démarches et méthodes de travail, acquises au cours de formations continuées, ce n’était pas le cas du professeur d’informatique. Un accompagnement de notre part fut donc utile à cet égard.

Le travail des élèves

Les professeurs ont souhaité que les deux classes jouent des rôles différents : les "reporters" étaient chargés de scénariser la visite virtuelle du paysage dans le cadre du cours de français tandis que les "designers" ont pris en charge les prises de vue, la préparation informatique des documents et la mise en page, dans le cadre du cours d’informatique. Pour certaines séances clés, les deux classes étaient cependant réunies : phase de présentation du projet et de recueil de représentations, phase d’émergence des projets particuliers, phases de coordination et de négociation.

Le projet a démarré par un recueil des représentations des élèves sur trois sujets : la nature, l’environnement et le paysage. Puis une matinée a été consacrée à une sensibilisation au paysage sur le terrain, puis deux séances de découverte de ce qu’est un hyperpaysage.

À partir d’une "remue-méninges", les élèves ont dégagé différents thèmes pour découvrir leur environnement et constitué des groupes de travail. Les deux classes ont déterminé les critères de réussite du projet et de la production.

Chaque groupe a reçu des consignes et des contraintes de travail. Un calendrier a été programmé. Commencèrent alors les séances de travail de production : prises de vue à l’extérieur, recherche documentaire et écriture de textes, apprentissage du maniement des outils informatiques, réalisation des panoramiques et des cartes, réalisation des pages web. Ces temps de travail individuel ou en petits groupes ont été régulièrement ponctués de séances collectives de mise au point et d’échange d’information.

Bilan de l’expérimentation

Le point de vue des enseignants

Sur le plan de leurs objectifs d’apprentissage, les enseignants se déclarent globalement satisfaits de l’expérience et estiment qu’elle a apporté quelque chose de différent aux élèves tout en leur permettant de travailler les compétences visées par le programme.

En ce qui concerne le développement d’une pensée complexe, ils estiment que construire un hyperpaysage est un exercice porteur, mais uniquement pour les reporters. Le professeur de français a pu constater que certains élèves réfléchissaient autrement depuis lors (mais pouvons-nous attribuer ce changement au projet ??) : ils faisaient des liens par ailleurs, entre des matières de cours, ils cherchaient à savoir ce que quelque chose faisait là... Un élève se sert de ce qu’il a fait pour le projet hyperpaysage dans un autre domaine (animation) : relier les choses, réfléchir avant de... Cependant, d’après la manière dont ils s’exprimaient à la fin du projet, certains élèves de ce groupe semblaient n’avaient pas encore bien intégré ce qu’était une page web et ce qui la différencie d’une page de texte ordinaire.

Sur le plan méthodologique, les enseignants ne travailleraient plus avec deux classes (groupe trop important pour une bonne dynamique ; trop d’élèves à gérer) et constitueraient de plus petits groupes de travail (2-3 élèves). "Le fait de travailler en groupes de 4 à 8 personnes était un obstacle notamment pour développer un mode de pensée systémique", estime le professeur de français, "cela diluait les investissements et les responsabilités et rendait la communication plus difficile".

Le choix des enseignants d’avoir séparé nettement les rôles entre les deux classes d’élèves est également remis en question, soit pour des raisons liées à la motivation, soit par souci d’efficacité dans les apprentissages, soit en raison des tensions engendrées (les designers ont eu le sentiment d’être cantonnés dans un rôle de techniciens au service des reporters). Cela étant dit, la séparation des rôles avait l’avantage de pousser chacun à justifier les décisions prises.

Le projet devrait durer moins longtemps : plus le temps passait, plus le décalage se marquait entre les élèves motivés et les autres. Un travail plus court, sur un sujet plus précis, permettrait peut-être d’aboutir à quelque chose de plus riche, en s’imposant un cadre plus étroit (un seul lieu, ou un seul sujet traité en différents lieux). Il serait aussi intéressant de réaliser plus rapidement les fragments de pages et les décharger au fur et à mesure, sans attendre qu’ils soient terminés, ce qui permettrait de voir directement où les élèves en sont et comment répartir les tâches. À cet égard, un tableau de répartition des tâches serait d’une aide précieuse. Les tâches devraient être plus ciblées. Pour favoriser le travail autonome et le respect des délais, les professeurs ont suggéré que chaque élève dispose d’une fiche de travail avec des items à cocher et signature du professeur, reprenant tous les objectifs “capacités” à atteindre.

Sur le plan technique, le professeur d’informatique estime que des élèves de 5ème étaient loin d’avoir les prérequis nécessaires. Il préférerait avoir programmé l’acquisition de ces prérequis avant de commercer à créer des hyperpaysages : savoir utiliser un logiciel de dessin et d’édition d’images ; savoir créer des pages web, nommer des fichers et les organiser.

Les professeurs soulignent aussi l’importance de concevoir des outils d’évaluation formative, pour vérifier où ils en sont, ce qu’ils ont compris (ont-ils compris ce qu’est un site, un lien, une page, un hyperpaysage ?).

Le point de vue des élèves

Globalement, nous possédons certaines informations grâce au professeur de français, qui a demandé aux élèves de sa classe (les reporters) de rédiger une dissertation sur le thème "Le projet hyperpaysage : une réussite ?", avec au moins trois arguments de thèse et trois arguments d’antithèse.

Comme points positifs, les élèves soulignent surtout le fait qu’ils aient dû se prendre en charge, que la communication était bonne au sein des sous-groupes et qu’ils sont parvenus à terminer le projet. Vraisemblablement, ils se sont sentis valorisés, ont pris confiance en eux et ont apprécié de pouvoir travailler sur des sujets qui les intéressaient. Ce qui ressort surtout comme points négatifs : les difficultés de communication avec l’autre classe, les problèmes de motivation chez certains, la longueur du projet et les tensions dans certains groupe qui en ont résulté. Ils font aussi remarquer que le projet était totalement neuf pour eux et qu’ils ne savaient pas bien ce qu’il fallait faire (consignes pas assez claires). Certains élèves ont estimé que les méthodes que l’on utilisait étaient une perte de temps.

Un an après l’expérimentation, les élèves ont été invités à remplir un questionnaire pour faire le point sur les effets qu’ils attribuaient au projet. Il invite les élèves à s’interroger spécifiquement sur la façon dont ils perçoivent sur le plan affectif l’endroit où ils ont réalisé un hyperpaysage, sur la façon dont ils "regardent" leur environnement quotidien et dont ils réfléchissent en général.

Les résultats sont assez hétérogènes : ce qui a changé pour les uns n’a rien modifié pour les autres, et vice-versa. En outre, de concert avec les professeurs qui encadraient les élèves, nous ne sommes pas surpris de constater que les effets positifs et durables sont exprimés par les élèves qui faisaient partie des groupes les plus dynamiques à l’époque. Ceux qui étaient en difficulté sur le plan personnel ou qui ont fait partie d’un groupe "qui a foiré" n’étaient pas en mesure de capter grand’chose... Les résultats sont très décevants dans le groupe des designers : très peu d’entre eux semblent avoir retiré un bénéfice de l’expérience ; deux élèves sur 12 ont même coché négativement toutes les questions !

Le groupe des reporters a manifestement gardé un bien meilleur souvenir de l’expérience. La majorité (17/19) disent se sentir davantage concernés par ce qui se passe dans les lieux où ils ont réalisé leur hyperpaysage et par l’avenir de ces paysages. Une petite moitié d’entre eux regarde désormais son environnement proche comme un hyperpaysage ; la majorité des élèves a le sentiment de découvrir de nouveaux endroits différemment (14), en regardant davantage tout autour d’eux (13) et en imaginant des liens cachés (14). Une moitié estime que l’activité hyperpaysage a changé quelque chose dans le regard qu’ils portent sur l’environnement, dans leur manière de réfléchir, et même de travailler. Voici quelques témoignages qui en disent un peu plus sur la nature de ce changement significatif et positif :

" J’aimerais en savoir plus sur les lieux que j’aime." "Quand j’y retourne, je connais chaque détail ..., c’est bizarre de se rendre compte que de petites choses changent." " Je me demande parfois comment je pourrais rendre ma maison ou mon quartier interactif." "Ce serait génial de refaire un hyperpaysage avec un endroit qui m’est vraiment familier, de pouvoir expliquer et montrer à tout le monde mon univers." "Je suis plus attentive, plus sensible aux liens." "Maintenant, je regarde au delà de la première vue, je regarde aussi ce qui se cache derrière." "Lorsque je me promène, il m’arrive parfois de m’arrêter et de regarder autour de moi. Je vois des choses sur lesquelles on pourrait créer des liens." "J’ai appris une certaine méthode de travail, une certaine organisation." "Je pense plus aux autres sujets qui viennent d’un sujet assez vaste, donc je pense aux liens qu’ils ont par rapport aux autres sujets très vastes."

Le point de vue des chercheurs

Cette première expérimentation a permis d’identifier clairement un certain nombre de capacités et compétences spécifiques à développer pour arriver à réaliser un hyperpaysage complexe, fondé sur une approche culturelle du paysage et qui tienne compte de la globalité de la personne qui le visite.

La complexité du dispositif

La caractéristique de cette expérimentation est d’avoir cherché à poursuivre tous les objectifs d’apprentissage visés dans une démarche elle-même complexe, à savoir la pédagogie du projet. Cette démarche n’est pas pour autant la seule voie pour réaliser des hyperpaysages avec les apprenants, comme nous avons pu l’expérimenter par la suite.

Le bilan que nous avons tiré de cette expérimentation est qu’il y avait trop de nouveautés en même temps, tant pour les élèves que pour les professeurs :
- travailler sur le paysage - dans une perspective culturelle - en développant l’approche complexe ; s’initier au langage hypermédia - s’approprier les techniques pour réaliser des hyperpaysages ; apprendre en groupe - dans une perspective constructiviste - en pédagogie du projet !

Résultat : la majorité des défis à relever l’ont été de manière satisfaisante, si l’on en juge par la qualité des hyperpaysages réalisés par les élèves, même si un certain nombre d’élèves designers n’en gardent pas un souvenir très positif (les objectifs que leur professeur visait avec eux ont été atteints néanmoins). Les hyperpaysages sont certainement révélateurs d’une initiation à l’approche culturelle du paysage et témoignent d’une implication personnelle et originale dans les recherches et les commentaires.

Le talon d’Achille du projet est cependant l’approche systémique, qui n’a pas été travaillée en tant que telle avec les élèves. L’examen de la structure des hyperpaysages terminés révèle peu de liens entre les pages alors que les projets initiaux en prévoyaient bien davantage. Nous avons effectivement constaté que les élèves étaient tombés dans le piège de l’absorption dans le contenu, une fois engagés dans les recherches documentaires et la rédaction des textes.

La maquette en 3D aurait pu être plus souvent utilisée comme instrument de "vigilance", mais la multiplicité des choses à gérer a fait passer un de nos objectifs principaux à l’arrière plan.

Dernier regret, et de taille : le travail ayant pris du retard, il n’a pas été possible de réaliser avec les étudiants ne fût-ce qu’une seule séance d’évaluation formative. Nous n’avons donc pas pu mettre en place une quelconque stratégie didactique afin de structurer les acquis (par exemple une analyse réflexive sur le type d’architecture produite), encore moins une séance destinée à faciliter le transfert à d’autres situations.

Les objectifs prioritaires

Étant donné ce qui précède, et compte tenu du bilan des professeurs et des élèves, nous en avons conclu que le cœur du projet, pour ce qui concerne l’approche de la complexité, était situé autour de la perception à 360 degrés et de la conception de l’architecture du scénario. Dès lors, pouvions-nous imaginer des dispositifs d’apprentissage qui fassent l’impasse sur les apprentissages techniques "lourds", par exemple en ayant recours à une cellule technique extérieure qui jouerait le rôle assuré par les designers dans cette expérimentation ? Ce fut notamment l’objet des expérimentations qui suivirent.

Pour favoriser la dissémination d’un projet d’apprentissage fondé sur la construction d’hyperpaysages, il est en tout cas apparu indispensable d’envisager une formule plus courte que celle qui fut expérimentée, réalisable en 8 ou 10 heures de cours maximum, en confiant aux élèves deux tâches principales sur le plan technique : réaliser les photos et les assembler en panoramique ; introduire les textes à l’ordinateur dans des pages préétablies.

Par ailleurs, nous en avons conclu qu’il pouvait être intéressant de dissocier certains objectifs ou d’en limiter la portée. Ainsi, se centrer sur la perception à 360° ne nécessite pas de passer par les NTIC et la composition systémique peut très bien s’arrêter à la création de maquettes "papier-scotch-bouts de ficelle".

Les limites et difficultés liées au contexte scolaire

En cours de projet, nous avons pu observer un certain nombre résistances de la part des élèves. Aux dires des professeurs, ce n’est pas nécessairement par manque d’intérêt, mais plutôt lié aux caractéristiques d’une pédagogie active : cela demande plus d’implication et d’investissement, il faut travailler à domicile, produire quelque chose de personnel. Sur ce dernier point, les professeurs ont souligné que bon nombre d’élèves ont pu vivre des expériences malheureuses, où leur effort pour produire quelque chose de personnel n’était pas valorisé, voire était sanctionné.

L’invitation à produire une parle personnelle sur ou par le biais du paysage rompt également avec l’approche traditionnelle en géographie, qui consiste à appliquer des grilles d’observation froides et "objectives" et à le décrire de manière stéréotypée. Nous devons souligner le travail remarquable du professeur de français à cet égard, qui a multiplié les exercices pour aider ses élèves à se libérer des carcans, à prendre conscience et à exprimer leurs sentiments, à donner un avis argumenté, à sortir des sentiers battus. Cette dimension du projet donne vraiment toute sa place à l’enseignant dans un dispositif en "présentiel" car il convient également de repérer, au gré des discussions entre élèves, les moments d’autocensure où une réflexion intéressante est considérée comme périphérique car non perçue par les élèves comme "entrant dans le moule".

On peut aussi se demander s’il n’y a pas, chez certains, une imprégnation telle du "modèle attendu" qu’ils ont du mal à accueillir positivement d’autres schémas comme celui de l’approche complexe, en relative contradiction avec l’esprit cartésien qu’on essaye de leur inculquer, ou le travail en pédagogie du projet, dont le cours ne ressemble pas à celui d’un long fleuve tranquille, au contraire des cours très magistocentrés qui sont majoritaires.

POUR EN SAVOIR PLUS SUR CETTE EXPERIMENTATION :

consulter le rapport de recherche "Hyperpaysages de Wallonie".